Comme pour céder à la mode des Bratisla Boys, le choix du
sujet de français du brevet des collèges proposait cette année un texte, certes de qualité, aux accents slaves. Les expressions « daragoia Estellouka » ou « Vlad » ou « Galoubka » ou « finished, kentecheno » encombraient une lettre déjà assez surréaliste. Comprendre que ce texte était la réponse d’un écrivain se refusant de se remettre à l’écriture relevait de la voyance : syntaxe approximative, absence de contexte comme d’une partie du texte original parasitaient ce modèle d’écriture, alors qu’il fallait rédiger à sa suite une lettre argumentative.
L’exercice semblait donc voué à la confusion et l’approximation. Aucune question de grammaire fort utile pour dénouer l’imbroglio temporel de cette lettre. Aucune manipulation lexicale, en dehors de l’explication d’un proverbe autour du mot « chanson », synonyme ici de récit, que certains ont traduit par: « faut pas en faire un flan » ! Plus grave : des questions de compréhension sans plaisir du texte, et un sujet de rédaction peu enthousiaste, se contentant d’exiger 30 lignes de lettre. En dictée, au lieu des 4 à 6 lignes, hélas habituelles, ô surprise, 12 lignes de vraie dictée. Or dans des centres d’examen, il fut impossible de dicter en entier : temps imparti trop court ! Il restait alors à certains à « inventer » des histoires de vols, de viols et de mafia russe pour convaincre le pauvre correcteur.
Réduit à un simple exercice superficiel, au barème bien généreux, l’épreuve semble avoir cédé à la facilité sans pour autant atteindre son but inavoué de réussite collective. A la question : « Quel nom est habituellement donné à (la) formule ainsi placée (en fin de lettre) ? », certains voient dans les initiales PS : « Petit secret » ou « Post stadium » ou « Pot citron », traduisant l’expression d’une « phrase d’agréation » ou « phrase comme mémorative » à l’usage du « poste triton » ! Il est vrai que le latin est officiellement, lui, une langue morte. Quant au français, on l’a compris, faut plus en faire un flan !
A Narbonne, les correcteurs ont spontanément manifesté leurs désaccord avec un tel sujet, enterrant notamment l’enseignement de la grammaire. Le Brevet des collèges devient un miroir aux alouettes. 75 % de réussite… mais quelle réussite ? Où est le seuil d’illettrisme quand les exigences sont aussi confuses et minimales ? Savoir lire et écrire reste une liberté qui exige rigueur dans son apprentissage. Ni la connivence, ni la démagogie promues aujourd’hui ne permettent d’espérer en l’émancipation critique des adolescents. Une pétition des professeurs correcteurs, inquiets, a été établie. Restera-t- elle lettre morte ?
A la suite des épreuves de Français du Brevet des Collèges dans l'Académie de Nice, les Professeurs de Lettres tiennent à exprimer leur consternation et leur révolte face au choix du sujet.
Il est en effet scandaleux de proposer aux élèves un texte qui, quelles que soient ses qualités littéraires, défie volontairement les normes grammaticales (syntaxe, ponctuation...) et qui de par son caractère allusif, permet les interprétations les plus contradictoires. Les questions portant sur les faits de langue étant totalement absentes, le correcteur sera ainsi conduit, logiquement, à devoir accepter toutes les réponses, aussi fantaisistes soient-elles.
Quant à l'épreuve d'orthographe, vu sa longueur, quel enseignant aura pu procéder à une première lecture, dicter puis relire... en 15 minutes !
Enfin il est inacceptable d'imposer comme consigne pour une rédaction: "Le langage sera courant... Il pourra être familier." Donc interdiction d'un niveau soutenu qui demeure pourtant l'idéal d'un travail littéraire. Il faudra donc pénaliser l'élève doté de qualités de style et de vocabulaire pour valoriser celui qui ne dépasse pas la langue orale... Régression et démagogie ! Et que dire d'un sujet qui contredit le texte support puisque celui-ci évoque une lettre-télégramme et qu'on demande à l'élève une rédaction de 30 lignes ?
Tout ceci met gravement en cause le contenu de notre enseignement et traduit le mépris de ceux qui ont conçu un tel sujet vis à vis de nous, de nos élèves et de la langue française.
Draguignan, le 26 juin 2002. Les professeurs de Lettres du Collège Jean Rostand