Le texte choisi est un extrait
d'une trentaine de lignes du livre autobiographique d'Anny DUPEREY: Le voile
noir, chapitre "Les maillots qui grattent". Le paratexte indique : "En
regardant des photographies, A.Duperey cherche à retrouver les souvenirs de sa
petite enfance perdus à la suite d'un grave choc émotionnel."
Effectivement, dans cet extrait,
l'auteur retrouve à partir d'une photo de plage, d'abord une sensation ( celle
des maillots tricotés à la main) , puis progressivement le souvenir d'une
relation tendre et sécurisante avec son père, enfin l'image d'une enfant
heureuse entre ses deux parents. Un détail de la fin associé au titre du
livre permet de comprendre que les parents sont morts. Le registre de langue est
courant, le texte ne présente aucune difficulté de compréhension.
Cette épreuve m'a d'abord
paru une épreuve "honnête " dans la mesure où elle correspond parfaitement aux
nouveaux programmes et instructions de la classe de Troisième : les
questions portent sur les grandes caractéristiques du genre autobiographique
(que le candidat doit identifier à la fin) : différence entre réminiscence
et souvenir, rôle des détails et des sensations tactiles et visuelles dans
l'élaboration du souvenir, émotion, emploi des temps du passé en relation
avec le présent, valeurs du présent.
Mais la cohérence apparente des
questions et même de leur regroupement en "axes",
ne résiste pas à un examen plus précis.
Certaines font double emploi, soit
qu'elles appellent exactement la même réponse ( n°3a et 3c; 5a et 6b), soit
qu'elles attirent l'attention sur le même point du texte (le passage de la
réminiscence au souvenir élaboré, n°2 et 7).
Pour d'autres, la réponse est
donnée par le titre de la partie où elles se trouvent (n°1c: "l'irruption du
souvenir"; n°7: "la recomposition du passé").
La question 5 est un chef d'oeuvre
de la méthode inductive, elle qui, par trois étapes successives, vise à amener
les candidats à deviner la valeur modale de "devoir"; la formulation du 5b
étant particulièrement obscure, l'ensemble se présente comme un vrai
labyrinthe dont seul un enseignant de français peut pressentir
l'issue.
Enfin, la question 1b, trop
ouverte ( "Que constatez-vous dans le rythme de ces phrases?") ne peut
manquer de susciter une foule de réponses variées dont le correcteur aura bien
du mal à juger la pertinence.
Plus grave à mon sens:
aucune question n'attire l'attention des élèves sur le rôle du deuil dans ce
texte, qui donne poutant tout son sens au travail de la mémoire et de
l'écriture: c'est là, à mes yeux, le véritable intérêt de ce texte, ce qui
peut le sauver de la banalité et lui conférer une certaine densité.
On aurait pu ainsi amener les élèves à interpréter l'abondance des phrases
interrogatives et des pauses suspensives, les répétitions des modalisateurs
marquant incertitudes et hypothèses, en relation avec ce double deuil: le décès
des parents et la perte de la mémoire.
Et maintenant, la
question qui fâche: quelle évaluation des connaissances grammaticales ce
questionnaire permet-il de faire? ...Un demi point récompense un relevé de
ponctuation, deux points l'identification du passé composé et de l'imparfait, le
reste concerne la valeur des temps... Rien, bien évidemment sur la grammaire de
phrase, si ce n'est le repérage d'une mise en relief...
Ainsi
retrouve-t-on dans cette épreuve les dérives déjà dénoncées du nouveau
brevet : toutes les questions devant être subordonnées au genre et au
type du texte, on réduit à presque rien l'étude de la langue et on oriente ces
questions non pas vers l'originalité, la richesse du texte, mais au contraire
vers ce qui le fait rentrer dans l'uniformité d'une catégorie dont il apparaît
comme le digne représentant. Il y a fort à parier que cet extrait a été choisi
sur ces critères, non pour sa force émotionnelle ou son esthétique, mais plutôt
parce qu'il permet de "recaser" facilement les points du cours sur
l'autobiographie. Ainsi, ces questions qui n'évaluent
plus les connaissances grammaticales, n'évaluent pas davantage la
simple compréhension du texte, ni ce qu'il peut susciter d'émotion, d'intérêt ou
de critique chez nos jeunes lecteurs.
Quant au caractère
tortueux de certaines consignes et aux incohérences relevées, ils me
semblent faire la preuve que même les meilleurs des enseignants, les
heureux élus des Commissions de Sujets, pas plus que les inspecteurs
qui, en dernière instance, peaufinent et choisissent les dits sujets,
n'accèdent à la maîtrise du questionnaire décloisonné et
inductif nouvelle mode, et ce au bout de trois ans
d'expérience... Fabriquer des questions pour
évaluer modestement la compréhension du texte était certes un exercice
moins virtuose, mais la cohérence des questions s'organisait d'elle-même autour
du sens et de l'intérêt du texte. Et peut-être respecte-t-on davantage un auteur
quand on s'intéresse un tant soit peu à ce qu'il a eu le projet
d'exprimer...
Je passerai sur l'évaluation de
l'orthographe qui n'apporte aucune amélioration par rapport aux dernières
années: dictée de neuf lignes à la première personne du présent de l'indicatif,
sans difficulté, à part un accord du participe passé (avec COD placé
avant).
Et je finirai par le
morceau de choix: le sujet (désormais unique) de rédaction.qui, on l'aura deviné
sans peine, demandait d'écrire un autre chapitre du même récit, en continuant à
feuilleter l'album photos et en "respect(ant) la situation d'énonciation".. Tête
des candidats, regards de détresse, que certains ont explicités après la
fin de l'épreuve: à quelle personne fallait-il écrire? (la formulation du sujet
évoquait A.Duperey à la 3ème personne); de toutes façons, on n'est pas
A.Duperey, on ne connaît rien d'elle, comment faire? Combien de lignes par
photo? Combien de photos pour "faire" un nombre suffisant de lignes? Et pour les
candidats les meilleurs: comment écrire un truc intéressant là-dessus sans
plagier l'auteur, sans tomber dans le banal, ou le vulgaire, ou l'incohérence
d'une succession de photos disparates?
Je croyais que les nouvelles
instructions recommandaient expressément de favoriser chez les élèves
"l'écriture de soi" dans une situation de communication réelle ou tout au moins
vraisemblable...
Nous en avons conclu, une collègue et
moi, que ce sujet n'était vraiment valable que pour les orphelins.
Grandeur et misère du nouveau
brevet.
G. CATHALA
07/2002