Des horaires !


C’est une dégradation continue depuis de nombreuses années qui motive aujourd’hui notre " Appel pour le rétablissement des horaires de français ". Quelques chiffres suffisent en effet à constater rapidement cette dégradation : en 1976, un élève qui sortait du collège avait reçu 2800 heures d'enseignement du français depuis son entrée au cours préparatoire ; en 2004, il en a reçu 800 de moins ; il a donc perdu l'équivalent de deux années et demie.

Le grand perdant de cette baisse continuelle des horaires, c’est donc l’élève, et plus précisément l’élève dans la maîtrise de sa langue. Car cette langue, à laquelle il a pourtant droit puisque c’est la sienne, lui a été de moins en moins enseignée au fil des ans, jusqu’à faire aujourd’hui l’objet d’un mépris certain de la part de l’institution. De travaux croisés en parcours diversifiés, d’itinéraires de découverte en projets divers, l’élève en effet a dû consacrer un temps précieux à toutes sortes d’activités, dont on a toujours établi les horaires en amputant ceux du français. Ces dispositifs ont d’ailleurs permis d’augmenter le nombre de classes par professeur, et donc de dégrader encore la qualité de leur travail dans le seul but d’aider à la suppression de postes. Mais quel profit pour l’élève ? Quel profit pour lui quand, dans ce cadre réduit, on lui dispense un enseignement par séquences, largement imposé, et qui lui interdit l’apprentissage distinct de la grammaire, de l’orthographe, de la conjugaison ? Un enseignement où tout doit être vu en même temps, à partir du même support-prétexte, introduisant ainsi une très grande confusion dans son esprit ? Comment peut-il en effet apprendre quand tout est mélangé, quand il lui est devenu impossible de comprendre que la grammaire, l’orthographe, sont des systèmes dont on peut maîtriser le code ? Quel profit pour lui quand ces systèmes s’anéantissent dans un enseignement qui n’en assure plus l’apprentissage patient, rigoureux et progressif, quand cet enseignement ne s’attache plus ni à la mémorisation des notions, ni à la régularité de leur exercice ?

Imagine-t-on pourtant qu’une maison puisse se construire, si sur le chantier le maître d’œuvre fait venir en même temps, ou dans un ordre quelconque, le charpentier, le plaquiste, le maçon, le plombier, le couvreur et l’électricien ?

Non, ce que nous voulons voir impulsé sans tarder à l’école, en y rétablissant des horaires de français décents, c’est un travail de fond, un travail qu’on ne saurait comparer à l’enchaînement des séquences qui se pratique aujourd’hui, et où surgissent n’importe quand, sans préparation aucune, des notions de grammaire et de conjugaison éparses, que l’on considèrera comme acquises parce qu’on en a dit deux mots entre un texte de Pagnol et une recette de cuisine.

Or ce travail de fond a besoin de temps. Du temps pour que l’élève apprenne à conjuguer dans les six modes de sa langue, du temps pour qu’il apprenne à construire, à ponctuer et à séparer ses phrases, du temps pour qu’il apprenne à réaliser les accords orthographiques et tout ce qui est à même d’établir la clarté de ses propos écrits. Du temps pour apprendre à reconnaître et à nommer, à manipuler et à utiliser, les natures et les fonctions possibles de ces mots, de ces propositions grammaticales, bref, du temps pour maîtriser ce qui va structurer son expression, sa pensée, et donc lui donner une chance réelle d’accès à celles d’autrui.

Car que devient cette chance aujourd’hui ? Que devient-elle lorsque les enseignants se trouvent contraints de pratiquer dans le cours de français un nivellement par le bas, une massification hypocritement baptisée " démocratisation ", dont seuls les plus favorisés se sortent parce que la langue leur est donnée en dehors de l’école, par la pratique familiale elle-même, ou par le recours à des leçons particulières de grammaire, d’orthographe, de rédaction ? Est-ce que démocratiser, c’est faire en sorte que ce soient les parents qui enseignent que lire, ce n’est pas deviner ? Est-ce que démocratiser consiste aujourd’hui à favoriser l’illettrisme des plus démunis ? Et à décréter que le seul niveau à atteindre par tous est celui du plus faible ?

A l’heure où se prépare une nouvelle loi d’orientation, nous disons au contraire que la mission de l’école publique est de tout faire pour structurer au mieux de ses capacités l’esprit de chaque élève, quelle que soit sa condition sociale. Et afin que l’ensemble de la société exige avec nous que cette mission soit de nouveau clairement confiée à son école, nous appelons donc chacun à signer notre pétition pour le rétablissement des horaires de français.

Luc Richer

10/2004