Ceux d'entre vous (professeurs de lycée) qui ont reçu notre dernier courrier début mai dénonçant l'abandon du projet de réforme de l'EAF ont sûrement noté que nous mettions en cause le rôle que le SNES avait joué dans cette circonstance. Nous avons en conséquence souhaité rencontrer les responsables nationaux de celui-ci pour un échange de vues sur cette question. Dans la mesure où le SNES, syndicat majoritaire et consulté à titre statutaire, pèse sur les décisions prises en haut lieu, nous pensons en effet qu'il vaut mieux que nous nous tenions informés de nos positions respectives. Il aurait certes été préférable de le faire plus tôt, mais les rencontres avec les syndicats ne font pas partie de nos habitudes, ce qui est peut-être un tort.
Disons aussi honnêtement qu'un certain nombre de choses que nous avions pu lire et entendre depuis deux ans pouvait nous laisser croire que le dialogue serait un dialogue de sourds. Nous avons cependant trouvé en Denis Paget et en Marylène Cahouet, que nous avons rencontrés le lundi 28 mai dans leurs locaux du Boulevard Saint-Germain, des interlocuteurs qui étaient manifestement sur la même longueur d'ondes que nous, qu'il s'agisse des programmes ou des épreuves anticipées de français : le corpus de textes comme support d'un questionnement initial, l'écriture d'invention, l'épreuve orale sans liste ne leur posent, à titre personnel, manifestement aucun problème, et ce point de vue est partagé par un certain nombre des adhérents de leur syndicat. Nous avons donc pu échanger de façon très constructive autour de l'ensemble des questions qui nous préoccupent.
Comment expliquer alors l'écart entre cet esprit d'ouverture et les prises de position qui ont contribué semble-t-il à faire trébucher le dispositif d'EAF communiqué en avril ? Car enfin nous n'avons pas inventé, et nous n'avons pas oublié que de nombreuses voix, et des mieux informées, disaient pourtant alors que nous étions près du but. C'est qu'il y a, reconnaît Denis Paget, des divergences considérables entre les membres du SNES, que ces divergences balaient la quasi totalité des positions possibles par rapport à l'enseignement du français, que si certains syndiqués ont des convictions très voisines des nôtres, d'autres sont sur des positions beaucoup plus conservatrices. Ces derniers étant plus nombreux pèsent plus fortement sur les prises de position du national que les premiers. Par ailleurs, il ne faut pas sous-estimer, nous dit Denis Paget, la déstabilisation actuelle de très nombreux professeurs de français qui sont hypersensibles face aux mutations ou évolutions qu'on leur propose et effectuent un repli identitaire sur la littérature. Cela explique que les responsables nationaux du SNES aient été amenés à défendre un projet de moratoire de la réforme de l'EAF, et à s'opposer à la mise en oeuvre d'une épreuve orale hors liste, qu'une majorité de leurs adhérents refuse, de même que l'écriture d'invention. La demande de moratoire est par ailleurs justifiée, nous ont dit nos interlocuteurs, par le fait que la publication du projet a connu un retard considérable, qui en rend l'application difficile pour la session 2002. Sur le retard, nous sommes évidemment d'accord. Par contre, nous pensons qu'un moratoire signifierait très probablement un enterrement pur et simple du projet. L'année 2002 sera, nul ne l'ignore, une année électorale, et quelle que soit l'issue du scrutin, il y aura très probablement un changement de ministre. Dans un tel contexte, il nous paraît particulièrement fâcheux de donner du temps aux adversaires de la réforme pour organiser une contre-offensive. Denis Paget et Marylène Cahouet ont reconnu que le risque était réel.
S'agissant de l'épreuve orale sans liste, nous avons communiqué à nos interlocuteurs le courrier que nous avons adressé au ministre début mai. Nous les avons informés de notre volonté de continuer à militer activement pour une telle épreuve. A partir de là nous avons librement échangé sur des solutions intermédiaires qui pourraient constituer une avancée significative. Denis Paget souscrit à la solution qui est actuellement envisagée par la Desco, et qui consiste à faire réfléchir l'élève sur un texte étudié en classe, mais à partir d'une question posée par l'examinateur qui orienterait son travail d'analyse et exclurait la récitation. Il pense qu'une épreuve hors liste pourrait être mise en oeuvre pour la série L, pour manifester la spécificité littéraire de la série, et pour apporter par l'expérience la preuve de la faisabilité d'une telle épreuve. Nous avons suggéré que l'interrogation pourrait se faire, pour toutes les séries, sur liste pour les textes issus de groupements, hors liste dans les oeuvres intégrales étudiées.
Cette proposition a été reçue avec intérêt par nos interlocuteurs.
Nous leur avons demandé de nous préciser quelles seraient leurs prises de position officielles sur cette question dans les semaines à venir. Nous les résumons ci-dessous.
- Le SNES maintient la demande de moratoire pour la session 2002, avec la possibilité d'épreuves aménagées par rapport à celles d'aujourd'hui, introduisant par exemple un corpus de documents, mais pas l'écriture d'invention.
- Il s'opposera à une épreuve orale hors liste si celle-ci est maintenue dans le projet, tout en suggérant des compromis du type de ceux qui sont évoqués ci-dessus.
Nous avons profité par ailleurs de cette rencontre pour échanger sur divers autres sujets : sur les projets de programme de Lettres pour la Terminale L, et sur les TPE. S'agissant des programmes de Terminale, nous avons exprimé notre accord global avec les modalités prévues par le texte qui nous a été communiqué, dans la mesure où le doublement de l'horaire n'a pas pour conséquence un doublement du programme, qui passe de trois à quatre oeuvres. Cela signifie qu'un temps reste disponible pour des activités complémentaires plus ouvertes, et en particulier pour d'autres activités de lecture. Dans ce domaine, nous avons exprimé notre désaccord avec l'idée d'une liste d'oeuvres périphériques à chacune des entrées du programme. Il nous semble qu'il faut laisser aux enseignants toute liberté d'initiative sur ce sujet. Cette remarque a reçu l'adhésion de nos interlocuteurs.
Nous avons également débattu de la mise en place des TPE en Terminale. Denis Paget nous a fait part des réserves du SNES à ce sujet. Il serait souhaitable, dit-il, de prendre le temps d'évaluer le dispositif mis en place en Première et ses résultats. Les échos recueillis montrent qu'une grande diversité d'approches et de perspectives d'évaluation existe. Il vaut mieux privilégier une évaluation du processus de problématisation et d'élaboration plutôt qu'une évaluation de " produits " ficelés. Par ailleurs, il pense qu'il vaudrait mieux articuler les TPE sur les programmes que sur des thèmes parachutés. Enfin, les TPE posent le problème de la disponibilité et du choix des ressources documentaires. Plutôt que d'inciter les élèves à recourir aux ressources, d'un intérêt variable, du Web, ne vaudrait-il pas mieux concevoir des CD-rom, plus commodément accessibles et plus fiables ? Nous avons exprimé notre accord quant aux perspectives d'évaluation centrées sur la démarche plutôt que sur le produit, et reconnu que le retard dans la définition de perspectives d'évaluation pour les TPE en Terminale posait un réel problème. Ils sont d'accord avec nous sur la nécessité d'ouvrir les possibilités d'association de disciplines. Il faudrait que les groupes d'experts des différentes disciplines travaillent ensemble sur cette question.
Nous nous sommes enfin trouvés d'accord pour continuer à réclamer l'extension de l'horaire classe en Première, sous la forme d'une heure de cours dédoublée ou d'un module, de façon à créer la cohérence entre les ambitions des programmes, en particulier dans le domaine des activités d'écriture et de pratique de l'oral, et le cadre horaire qui nous est imposé.
Nous nous sommes séparés après plus de deux heures d'entretien très positif. Certes, nous avons pour notre part déploré que le SNES ait contribué à l'abandon d'un projet d'EAF, à l'évidence mal géré dans le temps, mais très positif malgré tout de notre point de vue ; certes, nos interlocuteurs nous ont fait part de leur mauvaise humeur face à la véhémence avec laquelle nous avions souligné leur part de responsabilité dans l'abandon de ce même projet, mais des explications ayant été apportées de part et d'autre, nous avons conclu à l'utilité de nous tenir mutuellement informés pour agir plus efficacement selon nos fonctions respectives. C'est ce que nous avons commencé à faire, à l'occasion de la publication du projet qui nous a été communiqué le 28 mai. Nous avons également adressé nos commentaires aux autres syndicats représentant des enseignants de lycée.